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Pourquoi fêter aujourd'hui le 200e numéro du "Journal de l'alpha" avec le thème de la pédagogie du projet, alors que cela fait 35 ans qu'on parle de pédagogie du projet comme outil au service de la libération des groupes dominés ? Parce que d'une part, l'asbl Lire et Ecrire voulait réaffirmer sa place en alphabétisation populaire face aux dérives actuelles qui la détournent de son objectif émancipateur. Parce que d'autre part, elle voulait laisser, dans ce numéro tout spécialement, une place importante aux productions créatives des apprenants et aux messages qu'ils portent. Et que la pédagogie du projet permet et suscite particulièrement cette expression.[-]

Le titre de ce numéro est placé sous une double ponctuation. Un point d'interrogation d'abord, raccourci de multiples questions sur les publics de l'alphabétisation - ceux qui sont en formation, ceux qui n'y sont plus, ceux qui pourraient y être mais ne le sont pas... - et sur nos pratiques, leur pertinence, nos modalités d'action, nos moyens... Un point d'exclamation ensuite, pour réaffirmer le droit à l'alphabétisation pour tout adulte qui le souhaite, qui résonne comme un rappel du droit fondamental de chacun à acquérir les savoirs de base, et qui revendique la nécessité de politiques concertées à hauteur de l'enjeu de la persistance de l'analphabétisme. Avec, en toile de fond, un fil rouge aujourd'hui récurrent : le constat d'une vulnérabilité sociale croissante des publics de l'alpha, conjuguée au « paradigme » de l'État social actif qui, au travers de différentes politiques ciblées, exerce une violence institutionnelle de plus en plus dure envers ceux qui sont les plus exposés aux mutations socioéconomiques.[-]

La montée en puissance des référentiels en formation des adultes s'inscrit dans le cadre des politiques européennes de Life Long Learning, principalement orientées vers la performance économique. Si, pour les personnes en difficulté avec les savoirs de base, l'opportunité de faire reconnaitre leurs compétences professionnelles, de suivre une formation qualifiante, d'accéder, de se maintenir ou de progresser dans l'emploi est un enjeu important, ce n'est pas le seul motif d'entrée en alphabétisation.
C'est dans ce contexte que, pour des raisons pédagogiques d'abord, pour des raisons politiques ensuite, Lire et Écrire s'est embarqué dans l'aventure des référentiels en s'investissant dans la réalisation d'un cadre de référence pour l'alphabétisation populaire.
Ce numéro propose une réflexion critique sur les référentiels, leurs enjeux, et présente plus concrètement le référentiel de Lire et Écrire, ainsi que les référentiels métier et la grille générique des savoirs de base produits par l'Interfédération des EFT et des OISP.[-]

L'accueil, l'orientation et l'accompagnement, fonctions qui nécessitent souvent de travailler en face à face, font partie intégrante de l'alphabétisation. Ce numéro témoigne de la complexité de la tâche, souvent trop rapidement perçue comme un simple rôle d'information. Et ce notamment en lien avec les problématiques qu'engendrent chez les personnes les politiques et les mesures de l'Etat social actif : contraintes, contrôles, exclusions... Les contributions à ce numéro montrent combien le travail s'est professionnalisé, mais également combien il est aujourd'hui difficile pour les travailleurs du secteur de faire face aux demandes - parfois sans réponse possible - et aux difficultés et souffrances vécues par les apprenants.[-]

La question de la religion et de la laïcité interroge le comment nous vivons en société. Le secteur de l'alphabétisation est lui aussi traversé par cette problématique qui se marque concrètement sur le terrain par des tensions, des replis identitaires… Mais aussi par des besoins de comprendre, de mieux appréhender le futur, le désir d'agir dans sa famille, dans son quartier, sa commune, son association…
Ce numéro invite les acteurs de l'éducation populaire à réinterroger leur rôle et les enjeux qui sont au centre de leur travail. Et pour apporter des éléments de réponses aux besoins exprimés, il présente ensuite des pistes de travail et des ressources proposées ou expérimentées par des acteurs de l'alpha ou proches de l'alpha.[-]

De loin, les pratiques d'alphabétisation populaire peuvent ressembler à du «bricolage» qui peine à se donner à voir et à comprendre. Ces pratiques mobilisent en effet de nombreuses dimensions - individuelles, collectives et sociales - et agissent sous différents aspects - motivationnels, cognitifs, culturels...
Ces dernières années, les recherches sur l'apprentissage, et notamment les recherches en neurosciences ou inspirées des neurosciences, ont été nombreuses. Elles montrent notamment que nous ne nous sommes pas trompés : nous sommes tous capables d'apprentissage ! Elles n'infirment pas non plus que l'apprentissage est complexe et prend du temps ! Les méthodes et les conclusions de certains chercheurs nous montrent cependant qu'entre le champ de la recherche et celui de l'alpha, s'il y a des rencontres réussies, il y a aussi de nombreux rendez-vous manqués.[-]

Se doter d'une politique partenariale procède du choix d'une stratégie d'action pour rencontrer au mieux les enjeux d'accès à une formation de qualité pour tout adulte qui le souhaite, de combat contre la persistance de l'analphabétisme et sa reproduction, de prise en compte des personnes en situation d'illettrisme, qu'elles soient ou non en formation.
Dans ce numéro, les partenariats présentés sont tous mobilisés au service direct des apprenants (ou futurs ou ex-apprenants). Ils s'organisent autour de trois enjeux opérationnels distincts : la mobilisation d'un réseau d'acteurs sur un territoire donné, régional ou local ; la mobilisation de ressources externes à l'alpha dans des projets portés par des apprenants ou formateurs dans le champ culturel, environnemental, pédagogique… ; l'accès à la formation qualifiante dans une perspective d'insertion socio–professionnelle.[-]

Ce numéro centré sur l'apprentissage d'une langue se veut proche de l'analyse réflexive et des pratiques des acteur·rice·s de terrain. Les différent·e·s contributeur·rice·s mobilisent le plus souvent l'analyse socio–culturelle qui considère la langue comme une composante centrale d'une culture et comme ne pouvant exister qu'au sein d'une réalité sociale concrète. En ce sens, la langue est à la fois témoin des rapports et interactions entre groupes sociaux, et vecteur de transformation de ceux-ci. En ce sens aussi, elle a toute sa pertinence pour donner à mieux comprendre ce qui se joue dans les espaces de formation où des personnes s'engagent dans l'apprentissage de la langue orale ou écrite. Comme souvent en alpha, c'est une invitation à un voyage passionnant qui questionne et enrichit notre représentation à toutes et tous, pédagogues et non-pédagogues, sur ce qu'est une langue et notre rapport aux langues, qu'elles soient courantes, balbutiées ou juste écoutées…[-]

En lien avec ses valeurs et sa vision de l'alphabétisation populaire, Lire et Écrire prend acte du conflit social dans lequel s'inscrit la persistance de l'analphabétisme. Ce conflit inspire ses choix pédagogiques, porteurs de changements individuels et collectifs s'appuyant sur l'apprentissage des langages fondamentaux.
Entre une vision macro qui nous donne des clés de compréhension du fonctionnement sociopolitique et les espaces plus restreints de la formation, les connexions sont nombreuses.[-]

En Fédération Wallonie-Bruxelles, le secteur de l'alphabétisation se caractérise par une grande hétérogénéité : soutien par différentes politiques publiques, multiplicité des opérateurs, diversité des métiers impliqués, des histoires et des profils des travailleur·euse·s et des apprenant·e·s… Cette diversité, assumée et revendiquée, a pour fonction première de rendre le plus effectif possible l'accès de toutes et tous à l'alphabétisation.
En lien avec cette réalité, dans ce "Journal de l'alpha", la Rédaction a choisi de s'intéresser aux pratiques de terrain qui se rattachent positivement, volontairement et explicitement à l'hétérogénéité des groupes en formation. En effet, si l'homogénéité lui parait illusoire et peu propice aux apprentissages, et à contrecourant des enjeux de l'alphabétisation populaire, il lui parait tout aussi évident que répondre au quotidien à l'hétérogénéité n'est pas toujours simple et mérite, à ce titre, que nous donnions la parole aux travailleurs et travailleuses de terrain.[-]